Death and Taxes
Death and Taxes
Fiche d'identité
Date de parution : 20 février 2020
Développeur : Placeholder Gameworks
Producteur : Placeholder Gameworks
Franchise : Aucune
Nationalité : Estonie 🇪🇪
Langue : Anglais (interface, audio, sous-titres)
Prix : 11,99 € (Démo gratuite)
Taille : 2,3 Go
Durée de vie : 1h environ par partie, une vingtaine d'heures pour obtenir toutes les fins
Synopsis
Vous êtes Grim Reaper (La Faucheuse / L'Ankou). Vous avez été créé par votre patron, Fate (Le Destin), pour grossir les rangs de l'administration surnaturelle en charge des décès, dans le service s'occupant plus spécifiquement des humains adultes.
Notez que vous ne tuez personne : vous choisissez d'épargner certaines personnes mourantes et les autres meurent tout simplement parce que c'est ce que les mourants font. Subtil n'est-ce pas ? Comme votre patron vous l'expliquera si vous le questionnez : votre but est avant tout de conserver l'équilibre de l'univers, pour cela, il faut qu'un certain nombre d'humains meurent tandis que d'autres doivent survivre.
Analyse
Ludicité
Le titre fait référence à un célèbre aphorisme attribué, à tort, à Benjamin Franklin : "In this world nothing can be said to be certain, except death and taxes" (Dans ce monde, rien n'est certain sinon la mort et les taxes). Nous incarnons donc une Faucheuse employée de bureau, bien éloignée de la légendaire camarde arpentant les campagnes, juchée sur une charrette grinçante, en emportant les âmes des défunts. Notre vie professionnelle est aussi répétitive et ennuyeuse que celle d'un expert-comptable du Ministère des Finances.
La journée commence. Ascenseur. J'arrive au bureau. Je traite les dossiers du jour et les faxe au patron. Ascenseur. Je monte faire mon rapport quotidien. Ascenseur. Je descends faire mes courses chez Mortimer. Ascenseur. Je vais me coucher. Et ça recommence comme ça tous les jours de la semaine, puis du mois. On pourrait résumer ça par un "Ascenseur, boulot, dodo" répété ad nauseam.
Pour être honnête, l'aspect très administratif et très routinier m'a pas mal dérouté la première fois. J'ai eu beaucoup de mal à rentrer dans le jeu. Je m'attendais à un jeu proche de Papers, Please, avec des choix cornéliens lourds de conséquences et un impact émotionnel fort mais à aucun moment je n'ai senti de nécessité particulière à retenir une option plutôt qu'une autre dans le traitement de mes dossiers. Les conséquences de mes décisions se résumant à un entrefilet dans les actualités du lendemain, consultables sur mon téléphone professionnel. Aucun attachement aux personnes que je devais épargner ou achever. Ni empathie, ni sympathie pour ces mortels sans consistance.
J'ai fini le jeu une première fois avec une mauvaise fin, sans savoir vraiment pourquoi j'avais eu cette fin et sans avoir le sentiment que mes choix y étaient pour quelque chose. Cependant, j'avais la désagréable impression d'être passé à côté du sens du jeu et de son message.
J'ai donc récidivé et bien m'en a pris car c'est le genre de jeu qu'il faut refaire maintes fois pour en saisir la portée. Death and Taxes est un jeu proustien : il ne se joue pas, il se rejoue. On comprend dès la deuxième tentative que le jeu a été pensé pour être rejoué : les objets acquis dans les tentatives passées sont conservés et les informations obtenues débloquent de nouvelles options de réponses permettant, et c'est heureux, de raccourcir certains dialogues.
En rejouant, on saisit mieux la critique acerbe, presque kafkaïenne, de la bureaucratie défaillante :
- Les chefs n'expliquent pas tout, notamment le sens et l'utilité des tâches confiés, car ils méprisent leurs subalternes.
- Les règles sont floues et les manquements sont peu sanctionnés.
- Un chef ou un employé peuvent très bien servir leur intérêt personnel sans que cela ne soit sanctionné.
- Le salaire arrive parfois en retard. Certaines primes et augmentations sont accordées en fonction des résultats, d'autres en fonction de critères obscurs, probablement arbitraires.
- Le vocabulaire employé est volontairement technocratique et déshumanisant.
- Le politiquement correct est étouffant et inefficace.
- Les rapports quotidiens et les évaluations hebdomadaires font perdre un temps fou et n'ont aucune utilité.
- L'argent gagné est aussitôt investi dans des gadgets de bureau inutiles (en tout cas au premier abord) ou purement cosmétiques.
- Les technologies que l'administration utilise sont obsolètes.
Pour prendre un exemple plus précis : tous les pronoms des dossiers traités sont non-genrés. En anglais, "he" et "she" sont ainsi remplacés par "they". C'est grammaticalement correct depuis plusieurs siècles bien que peu usité et la raison invoquée par notre supérieur hiérarchique est d'éviter les discriminations fondées sur le genre. L'intention est louable mais la conséquence est une confusion fréquente pour savoir si l'on parle au singulier ou au pluriel. Lors de ma première tentative, cela m'avait particulièrement agacé.
Je ne suis pas le seul puisque la question revient souvent sur les forums. Un des développeurs a répondu que ce n'était pas une position politique mais faisait partie de l'expérience de jeu. Je comprends alors que cette règle, dans l'univers du jeu, est volontairement absurde puisque le principe même du métier de Faucheuse est de discriminer selon divers critères pour user de notre droit de vie ou de mort. Il est idiot de masquer le genre et l'origine ethnique puisqu'une photo et un nom sont présents dans tous les dossiers. C'est peut-être même pire puisque si une Faucheuse souhaite discriminer selon le genre, elle le fera selon l'expression de genre et non l'identité de genre.
Et c'est exactement la même chose pour l'origine ethnique : là aussi, le politiquement correct échoue à supprimer les possibilités de discrimination : la simple absence de mention de l'origine ethnique n'est pas suffisante puisqu'il y a une photo. Il y a aussi une multitude d'autres critères de discrimination, dont on peut questionner la légitimité, qui sont bien présents dans les dossiers : l'âge, la situation familiale, la profession, la spiritualité, la moralité, le casier judiciaire, etc.
Le jeu pose ainsi plusieurs questionnements et laisse le joueur expérimenter pour tenter de trouver sa réponse. Il y a une volonté assumée de ne pas nous donner les clés de compréhension tout de suite ce qui est frustrant dans un premier temps mais se révèle instructif et formateur sur le long terme, notamment quand les mécaniques de jeu deviennent plus claires.
- Quel est le rapport que nous entretenons à l'autorité ? Quid en cas de conflits d'autorités ?
- Quelle est notre définition du bien et du mal ? La fin justifie-t-elle les moyens ?
- Quels sont nos critères de discrimination ? Sont-ils moraux ? Utilitaristes ?
Direction artistique
Graphiquement, on est sur de la 2D aquarelle réalisée à la main avec une identité forte. Il est possible de débloquer de nombreux avatars qu'il est dommage de ne voir que très rarement en jeu.
La musique lors de l'utilisation de l'ascenseur est ... une musique d'ascenseur ... C'est de circonstance mais cela devient très vite horripilant tant elle est insipide. C'est le but et cela renforce d'autant plus le côté routinier : sur une journée, il faut a minima prendre trois fois l'ascenseur, sans compter les visites à la boutique de Mortimer, il y a vingt-huit jours par partie et vous allez faire énormément de parties si vous cherchez à débloquer toutes les fins possibles. Cette musique devient donc très vite insupportable. Les autres morceaux sont de bonne facture et plus agréables à l'oreille. Ils correspondent chacun à une pièce de l'immeuble.
Public
Le jeu aborde des thématiques complexes telles que la mort ou le suicide mais sans aucune violence graphique ou verbale. Il y a un bar dans l'immeuble où la consommation d'alcool est possible (et même indispensable pour certains trophées). Certaines images pourront choquer les plus jeunes (en dessous de 7 ans) et une bonne aisance dans la compréhension de la langue anglaise est recommandée.
Le jeu est plus un questionnement philosophique qu'une franche partie de rigolade donc si vous cherchez à vous détendre en rentrant du bureau, ce n'est clairement pas la bonne option. En revanche, si vous vous intéressez aux limites de ce qu'est un jeu vidéo et aux motivations qui nous poussent à faire nos choix, je vous conseille d'essayer ce jeu avec un esprit ouvert et beaucoup de patience. Voyez le plus comme un essai philosophique que comme un roman.
Contenu additionnel
Le 29 octobre 2020, le studio enrichit le jeu avec la mise à jour gratuite "Halloween". Il est regrettable que ce contenu n'ait pas été disponible dès la sortie du jeu car les mécaniques de jeu n'ont pas du tout été modifiées. En conséquence, elle force les personnes ayant déjà fini le jeu à refaire de (nombreuses) parties très similaires afin de débloquer le contenu additionnel.
En revanche, cette mise à jour étoffe l'expérience de jeu des nouveaux joueurs : elle ajoute le bar de l'immeuble (appelé Cerberus Den : l'antre de Cerbère) où il est possible de croiser sept nouveaux personnages. "Halloween" vient également avec son lot de cosmétiques et de trophées.
Remercions enfin les développeurs d'avoir modifié les conditions d'obtention du trophée "EGG". En effet avant le 20 juillet 2022, il fallait que les quatre statistiques invisibles du jeu soient égales entre elles : sachant que les valeurs des modificateurs sont elles aussi invisibles, cela rendait presque impossible l'obtention du trophée, même avec un des outils développés spécialement par les joueurs.